samedi 28 mai 2011

La BnF en fait-elle trop pour la numérisation en France ?

Quand on parle de numérisation en France, la première institution qui vient à l'esprit est la Bibliothèque nationale de France, qui numérise ses collections depuis le début des années 1990. Les centres d'archives, également très actifs dans la numérisation du patrimoine (et depuis très longtemps) sont quasiment toujours en retrait, alors qu'ils sont incontournables en termes de volumes numérisés. Cette situation est avant tout politique, et je n'évoquerai pas ici l'ouvrage de Jean-Noël Jeanneney, Quand Google défie l'Europe : plaidoyer pour un sursaut. Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF a la vocation de devenir une sorte de « Bibliothèque numérique de France », grâce à l’élaboration d’un schéma numérique des bibliothèques. Le développement de programmes de numérisation menés avec d’autres bibliothèques françaises dans le cadre de la politique documentaire nationale conduit à faire évoluer Gallica vers un outil de coopération, répondant ainsi aux attentes des partenaires de la bibliothèque, de plus en plus intéressés par des projets de numérisation partagée ; et désireux de profiter de l’expertise et des moyens de la BnF dans ce domaine. La troisième tranche du marché de numérisation de masse s'est ouverte aux pôles associés et plusieurs milliers de documents numérisés issus des fonds de bibliothèques partenaires rejoignent Gallica et par là même Europeana.

La BnF finance à hauteur de 50% la numérisation des pôles associés. Or il me semble bien que ce devrait typiquement être le rôle du Ministère de la Culture. Alors que l'on entend parler partout et tout le temps de la société numérique, il me semble là que laisser à la BnF la charge du financement de la numérisation conduit à un affaiblissement du ministère. Il faut dire qu'Éric Besson, qui est secrétaire d’État en charge du développement de l'économie numérique, est rattaché au ministère de l'économie, et non de la culture. Encore une certaine incohérence, dans la mesure où nombre des sujets sur lesquels il intervient ont trait, directement ou non, au monde de la culture. 
Cette moindre capacité d'agir du ministère procède aussi d'un nouveau rapport de force avec les industries venues d'autres horizons, principalement de l'informatique, largement étrangères au monde de la culture (Microsoft, Google etc.). Ces nouveaux entrants, qui jusque-là se contentaient de véhiculer des contenus, deviennent de vrais producteurs, avec des moyens considérables. Ces grands distributeurs peuvent bénéficier d'économies d'échelle, comme c'est le cas de Google avec son projet Google Livres. 
Le ministère de la culture doit dialoguer avec ces nouveaux acteurs alors même qu'il est amputé des questions de l'économie numérique et on a l'impression qu'il se réfugie derrière la BnF pour porter ces projets de numérisation. De fait, on entre dans une situation paradoxale, puisque selon les termes du décret du 3 janvier 1994, la BnF est chargée de quatre missions essentielles :
  • « La collecte : constituer et enrichir dans tous les champs de la connaissance le patrimoine national dont elle a la garde, en particulier le patrimoine de langue française ou relatif à la civilisation française. Cette mission s’appuie notamment sur le dépôt légal [1].
  • Le traitement : décrire les documents dans leur forme, leur contenu, parfois leur histoire.
  • La conservation : restaurer, reproduire, sauvegarder les documents.
  • La communication : assurer l’accès du plus grand nombre aux collections. A ce titre, elle conduit des programmes de recherche, permet la consultation à distance, met en valeur ses collections par des publications et des expositions »[2].
Il n'est nulle part mentionnée que sa mission est de se charger du financement de la numérisation en France. Mais, de fait, la BnF ayant une certaine expertise dans le secteur, elle devrait investir l'argent actuellement consenti à ses partenaires dans ses  propres chaines de numérisation. Soyons clairs, si des entreprises se lancent dans la numérisation du patrimoine, c'est que c'est un marché rentable et porteur. A ce titre, il vaudrait mieux que les institutions culturelles de France fassent appel à la BnF comme n'importe quel autre prestataire, et ainsi cela produirait un circuit vertueux de la numérisation du patrimoine. Cette volonté de service est d'ailleurs déjà envisagée par la BnF dans le cadre de SPAR, son coffre-fort numérique. Il n'y aurait pus qu'à pousser la logique un peu plus loin en proposant une prestation complète : numérisation et pérennisation, à un coût intéressant pour les partenaires. Ce serait une vraie politique française de la numérisation, valorisant ainsi les savoirs-faire nationaux, tout en créant des emplois dans un secteur porteur, et largement soutenu par l'argent public.


[1] La Bnf a reçu au titre du dépôt légal éditeurs près de 70 000 livres en 2008. Elle a aussi reçu 322 000 périodiques, 30 300 documents audiovisuels et 27 600 documents spécialisés. In. BnF : la bibliothèque aujourd’hui, Paris, BnF, 2009
[2] In. Blasselle (Bruno), Melet-Sanson (Jacqueline), La Bibliothèque nationale de France. Mémoire de l’avenir, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard Histoire », 1990, p. 166

2 commentaires:

  1. Une grande partie des bibliothèques ne relève pas du ministère de la Culture mais du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Je vois pas pourquoi le MCC financerait la numérisation...

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  2. Absolument, je suis passé totalement à côté de ce point dans l'article. Ceci étant, le budget de la BnF doit provenir aux 2/3 des subventions du MCC (à vérifier). Donc, au final, un grand nombre de bibliothèques qui numérisent leurs fonds grâce au soutien de la BnF profitent indirectement de subventions du MCC, même s'ils elles relèvent du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

    Le plus simple serait sans doute de créer une sorte de direction interministérielle chargée des questions numériques au sein du MCC. Mais sinon, comme je le rappelle dans l'article, que le secrétaire d’État en charge du développement de l'économie numérique soit rattaché au MMC et puisse gérer ces questions.

    Bref, le débat est ouvert !

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